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3.4.3. Poétique et rhétorique

Le choix de Rousset d’opter pour une définition thématique du baroque rencontra assez vite des oppositions et des résistances. On fit valoir que le XVIIe siècle n’eut pas le monopole des miroirs, des bulles, des vagues et des fleurs. Aussi, très vite, des tenants de la notion de baroque tentèrent de construire le concept sur des critères formels moins suspects, plus spécifique à la période considérée. Gérard Genette, partisan d’une approche structurale des textes, voulut fonder la notion de baroque sur des critères exclusivement rhétoriques. Il consacra trois essais à cette catégorie, en s’appuyant en particulier sur Saint-Amant (dans Figures I, 1966). Dans ces textes, il montre que, loin d’être caractérisé par la fluidité, le baroque est au contraire rigide ; il est fortement structuré par des oppositions binaires, des jeux de miroir, des renversements, des systèmes de contrastes. Le fonctionnement d’une formule comme « l’or tombe sous le fer », tiré d’un poème de Saint-Amant, montre selon lui comment le réel est sommé de se soumettre au carcan d’une rigoureuse rhétorique friande d’antithèses, fussent-elles artificielles.

Sonnet sur la moisson d’un lieu proche de Paris
 
Plaisirs d’un noble ami qui sait chérir ma veine,
Mélanges gracieux de prés et de guérets,
Rustique amphithéâtre où de sombres forêts
S’élèvent chef sur chef pour voir couler la Seine.
 
Délices de la vue, aimable et riche plaine !
On s’en va mettre à bas les trésors de Cérès,
Que l’on voit ondoyer comme un vaste marets
Quand il est agité d’une légère haleine.
 
L’or tombe sous le fer ; déjà les moissonneurs,
Dépouillant les sillons de leurs jaunes honneurs,
La désolation rendent et gaie et belle.
 
L’utile cruauté travaille au bien de tous,
Et notre oeil satisfait semble dire à Cybèle :
Plus le ravage est grand, plus je le trouve doux.
(Saint-Amant, 1594-1661)

Les blés murs ne sont pas d’or comme la faucille est de fer : c’est par un coup de force rhétorique qui ne satisfait pas les principes de la logique que le poète impose cette formule frappante :

  • l’or des blés relève de la métaphore (les blés sont jaunes comme le métal précieux)
  • le fer procède de la métonymie (la faucille est en fer)
    Il faut ce double recours aux figures pour créer cet effet de surprise brillant mais qui fige la réalité en un système bipolaire factice.

De même, dans « l’univers réversible » : Saint-Amant, dans le poème Moïse Sauvé, décrivant l’épisode du passage de la mer rouge, inverse la mer et le ciel, et fait de l’un le miroir de l’autre : « Les poissons ébahis le regardent passer. ». Il y a bien un « vertige baroque », commente Genette, mais il « naît de la symétrie », et non du mouvement insaisissable. C’est encore la symétrie, celle du miroir, qui fait à ses yeux le secret du baroque dans son troisième article intitulé « Le complexe de Narcisse ».

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